L’éducation n’a jamais été aussi accessible... et pourtant, apprendre n’a jamais été aussi difficile. Les professeurs de collèges et lycées surtout se sentent dépassés la faute aux directives nationnales qui se mordent la queue. En cause la «pause numérique» dans les établissements scolaires souhaitée par Elisabeth Borne met en exergue un système éducatif tiraillé entre envie de déconnexion et numérisation accélérée des outils de travail.
Apprendre à l’ère des paradoxes : quand l’accès illimité au savoir rend l’éducation plus difficile
L’école traverse une zone de turbulences. Dans les collèges et lycées, beaucoup d’enseignants expriment un sentiment de perte de repères face à des directives nationales parfois contradictoires. La récente volonté de limiter l’usage du numérique dans les établissements scolaires, portée par l’ancienne Première ministre Élisabeth Borne, met en lumière une tension profonde : comment concilier aspiration à la déconnexion et transformation numérique accélérée des outils pédagogiques ?
Ce paradoxe dépasse les murs de l’école. Il reflète une époque où l’accès au savoir n’a jamais été aussi vaste… mais où apprendre semble pourtant plus ardu que jamais :
Un accès au savoir sans précédent
L’ampleur des ressources accessibles aujourd’hui est indéniable :
- Des milliers de vidéos éducatives gratuites,
- Une offre croissante de podcasts pédagogiques accessibles en quelques clics,
- Des bibliothèques numériques embarquées dans chaque smartphone,
- Des IA capables de résumer ou d’expliquer un contenu.
Cet environnement pourrait constituer un trésor éducatif. Pourtant, la facilité d’accès ne garantit pas la capacité d’apprendre.
Un environnement saturé
Pourquoi cette contradiction ? Plusieurs phénomènes observables contribuent à cette difficulté :
- Des plateformes de divertissement privilégiant des formats extrêmement courts,
- La multiplication des discours promettant des réussites rapides sans effort,
- Une pression sociale croissante autour de la réussite précoce,
- Une offre culturelle en continu, favorisant le binge watching.
Des opportunités professionnelles immédiates pouvant apparaître plus attractives que des études longues. Face à cela, beaucoup d’élèves expriment un sentiment de surcharge ou de dispersion. Dans leurs différents communiqués le gouvernement actuel tente de juguler le «fléau de la surexposition aux écrans» en imposant un «droit à la déconnexion» et surtout de limiter l'essor des «fausses informations» ou des «informations qui sont attentatoires» à la dignité d’une personne diffusées sur les réseaux sociaux. Alors que du point de vue des enseignants on a l'impression que nos dirgireants se sentent dépassés par le numérique, de ce fait il rétropédale. Personnellement je trouve que ces sujets sont criciaux et nécessitent de la concertation et de la sensibilisation car on parle du cerveau et de l'avenir de nos jeunes.
Un défi : rester concentré
Les travaux en sciences cognitives soulignent que l’attention est devenue un enjeu crucial dans un monde saturé de stimuli (source : Goleman, “Focus”, 2013). Je ne sais pas s’il existe des données récentes mesurant précisément la baisse de concentration chez les adolescents, mais les observations des enseignants, relayées dans de nombreux rapports pédagogiques, convergent vers cette même difficulté.
L’enjeu dépasse la simple motivation scolaire : il touche à la capacité de structurer une trajectoire dans une société qui valorise l’instantané et la récompense immédiate.
Changer de regard sur l’apprentissage
Plutôt que de parler d’élèves « démotivés » ou « en retard », une autre piste émerge : repenser ce que l’école doit transmettre.
- Et si la mission première de l’éducation, aujourd’hui, était d’apprendre à résister à la dispersion ?
- Et si enseigner consistait autant à transmettre un savoir qu’à construire une stabilité intérieure ?
- Et si le plus important n’était pas d’absorber toujours plus de connaissances, mais de comprendre pourquoi on apprend ?
Aujourd'hui il existe malheureusement aucun consensus scientifique ou institutionnel clair à leur sujet. On voit que certains pays essayent d'adapter leur système éducatif puis rétropédalent comme la Finlande qui revient au stylo et au papier après avoir tenté l'expérimentation des écrans (tablettes, ordinateurs et smartphones) dans les classes.
Redonner du sens, de la clarté et de la direction
Dans une société où tout est accessible en permanence, le véritable enjeu devient la capacité à choisir, à filtrer, à dire non. La discipline, la cohérence personnelle et la clarté d’esprit deviennent alors des ressources rares et essentielles.
Construire cet état d’esprit exige un effort collectif : enseignants, institutions, familles et élèves. L’objectif reste le même depuis toujours : permettre à chacun d’avancer avec lucidité, en redonnant du sens à l’effort, à l’attention et à l’apprentissage. Comme l'explique Marion Carré dans son ouvrage Le paradoxe du tapis roulant : notre meilleure arme face à l'IA est de vaincre notre paresse intellectuelle.
Parce que l’avenir ne dépendra pas du nombre d’options disponibles, mais de la capacité à faire des choix éclairés.